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Quand un programme gouvernemental sous-paie ses auteurs

Il y a quelques semaines, j’ai pointé du doigt l’aberration de la rémunération des auteurs en France. Regardons maintenant la poutre dans notre proverbial œil avec l’aberration de rémunération des auteurs du Québec! J’ai nommé : les tarifs de Culture à l’École.

Mettons premièrement une chose au clair : le programme Culture à l’école est fantastique! Il permet aux établissements du primaire et du secondaire d’inviter des auteurs et autres artistes dans leurs classes en se faisant rembourser une grande partie des frais par le programme gouvernemental. Les auteurs y trouvent une source de revenu additionnel, les enfants y trouvent le genre d’étincelle qui fait aimer la lecture, et qui déclenche parfois même de futures vocations. C’est merveilleux!

Le problème, c’est que la rémunération des auteurs via ce programme n’a pas changé DEPUIS 20 ANS!!!

Je le répète, en gras cette fois, pour vous permettre de digérer le tout : la rémunération n’a pas changé depuis 20 ans.

Et comme il y a cette petite chose appelée inflation, le pouvoir d’achat associé a fondu comme peau de chagrin!

J’ai fait ce petit graphique comparatif, pour bien montrer à quel point ils sont en dessous des normes de l’industrie.  N’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux! (NOTE : Le justificatif de mes chiffres se trouve à la fin du billet)

On parle donc, de moins de la moitié des sommes habituellement associées à un tel travail!

Le pire, c’est que ça crée un précédent, une habitude. Lorsque les auteurs font des animations qui ne sont pas issues du programme, la négociation est difficile à justifier, puisque le plus gros programme du genre offre des rémunérations inadéquates.

Bref, non seulement le programme Culture à l’école sous-paie les auteurs, mais il tire tous les tarifs vers le bas!

Annexe: Justificatif des chiffres 

  • Métropolis Bleu et Communication jeunesse : Tiré de mon expérience personnelle avec ces programmes. Ils offrent 250$ par animation, de manière tout à fait cumulative. Trois animations font donc 750$ pour la journée.
  • Culture à l’école : Tiré du programme lui-même!
  • Canadian Society of Children’s Authors, Illustrators and Performers (CANSCAIP): Citation tirée de leur site internet officiel: “CANSCAIP suggests $250 (plus GST/HST) as a minimum for presentations up to an hour (based on Canada Council for the Arts guidelines). Some of our Members will charge more.” Comme dans le cas des deux précédents, on multiplie par trois pour une journée complète. Source : https://www.canscaip.org/School/LibraryVisits
  • Le Centre National : Préconise la tarification de 445 Euros (658$ CAN) pour une journée de trois animations. Source : https://www.centrenationaldulivre.fr/fichier/p_ressource/18941/ressource_fichier_fr_grille.tarifaire.2020.pdf)
  • Society of Children’s Book Writers and Illustrators (É-U) : La société a des chapitres un peu partout dans le monde, mais le chiffre est tiré d’une étude américaine de 2018 auprès de leurs membres. Les tarifs y varient beaucoup selon l’expérience des auteurs, mais l’étude conclue que, pour une journée d’animation : « the average rate was $1,002; the most common day rate was $1,000. ». J’ai simplement transféré le tout en argent CAD. Source: https://www.scbwi.org/536462-2/
  • Society of authors (Angleterre): Dans leur guide pour les auteurs en animations, ils citent une étude de 2013 auprès de leurs membres qui dit ceci : « Average rates were around £400-500 for a day”. J’ai donc pris la moyenne de £450, que j’ai transférée en $ CAD. Source: https://www.societyofauthors.org/SOA/MediaLibrary/SOAWebsite/Guides/A-Guide-for-Authors-Visiting-Schools-and-Libraries.pdf

L’affaire Godbout


Petit rappel des grandes lignes, puisque c’est une affaire qui a surtout touché le milieu littéraire et n’a pas fait grand bruit ailleurs :

Une professeure a porté plainte contre un passage du livre « Hansel et Gretel » d’Yvan Godbout, publié dans la collection d’horreur « Contes interdits » de la maison de publication ADA.  Le passage en question raconte le viol incestueux d’une jeune fille. L’auteur et l’éditeur sont désormais accusés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales pour production et distribution de pornographie juvénile. Ils seront portés devant jury, et risquent la prison.

Il y a deux débats dans cette histoire. Le premier est la fameuse question de la liberté d’expression vs la censure de l’état. Certains montent aux barricades en disant qu’il est intolérable que le gouvernement puisse interdire certains écrits. Dans ce débat particulier, je me retrouve plutôt du côté des pondérés. Je ne crois pas que l’on doit tout permettre aux auteurs! Un livre qui inviterait au racisme, à l’intolérance ou à la haine, par exemple, devrait absolument être proscrit. On parle beaucoup de Fake News, aussi! Est-ce qu’on désire que ces derniers prennent d’assaut les tablettes des librairies? Même sous une forme de fiction? Par contre, dans tous ces cas, une des caractéristiques importantes serait non pas les mots exacts d’une ligne donnée, mais bien l’intention du livre, l’intention de l’auteur. Dans le cas qui nous intéresse cette scène de viol sert à faire détester le coupable, le rendre abject, pour mieux lui exploser la cervelle (c’est un livre d’horreur après tout) dans les passages qui suivent. Mis dans son contexte, l’intention est de dénoncer l’acte vil, non de l’encourager. Sous cette lumière, la plainte n’aurait pas dû dépasser le stade de la simple vérification.

La deuxième du débat est celle du cauchemar vécu par l’auteur. Avez-vous déjà été poursuivi en justice? C’est un stress épouvantable! Ça ne m’est arrivé qu’une seule fois, lorsque j’étais vice-présidente de l’AEQJ, et encore, ce n’est pas moi personnellement, mais bien l’entité, qui était poursuivie. Je n’en dormais plus la nuit. J’imaginais des huissiers venir saisir tout ce que j’avais. Pour une des rares fois dans ma vie, j’ai dû fuir, abandonner. Je ne veux même pas imaginer ce que ça aurait été si c’était la prison qui avait pendu au-dessus de ma tête. Tant qu’on n’y est pas confronté,  on pense que la justice sert à condamner des criminels qui ont enfreint la loi de manière tout à fait volontaire. On pense aussi qu’elle sera juste, et que les innocents seront disculpés. La vérité est un peu plus floue. Déjà, c’est long très long! Et pendant ce temps, le stress est insupportable, la vie est mise de côté, et les préjugés se montent. « innocent jusqu’à preuve du contraire » est un principe bien ignoré dans cette ère de médias sociaux! Aussi, un Jury, c’est terrifiant! C’est mettre sa destinée dans les mains de parfaits inconnus qui n’ont été choisis ni pour leur gros bon sens, ni pour leurs compétences, ni pour leur sens inné de la justice. Il fut un temps où j’avais toute confiance en l’être humain, en ce qu’on appelle parfois #lesgens. Puis, un peuple entier a élu un imbécile comme président, et je ne fais plus confiance au peuple au sens large. Et finalement, la prison, cet endroit terrifiant entre tous, pour quelqu’un qui n’a jamais, JAMAIS, eut l’intention de faire du mal à qui que ce soit. Exagéré, vous pensez? Pire, c’est un drame, une tragédie, le cauchemar de tout auteur.

En résumé :

Est-ce que les auteurs devraient avoir le droit de tout dire? NON! Il est important de légiférer, afin d’éviter (entre autres) les incitations à la haine.

Est-ce que’Yvan Godbout mérite la prison? NON! Il ne mérite même pas le stress épouvantable dans lequel le plonge la lenteur de notre système juridique.

Cher Yvan Godbout, on ne se connait pas, mais si jamais on vous condamne à la prison, je serai la première dans la rue à manifester avec les autres.

Oui, j’ai bien dit « autrice »!

La première fois que j’ai entendu le mot, j’ai fait comme tout le monde : « Ouache »! Nous ne sommes pas habitués à l’entendre, alors il écorche les oreilles.

Puis, il y a eu le merveilleux mouvement #MeToo, qui m’a fait réaliser que ma génération avait son propre combat féministe à mener. Nos mères et grands-mères ont luté pour l’égalité, nous luttons désormais pour le respect. La deuxième fois que j’ai entendu le mot « autrice », je m’y suis intéressé. J’ai fait quelques lectures.

J’y ai trouvé, tout d’abord, que c’est linguistiquement la bonne forme. Les masculins en « eur » se féminisent soit en « euse » ou en « trice ». D’ailleurs, le terme est accepté à la fois par Antidote et Le Petit Robert.

Ensuite, j’ai découvert que c’est un terme qui a été utilisé jusqu’au début du XVIIe siècle.

Selon l’Académicien Frédéric Vitoux : « il était d’usage d’employer le mot “autrice“, comme on le faisait du féminin d’acteur, “actrice“. Cela entrait en cohérence avec sa racine latine». (Source: Le Figaro)

Pourquoi il serait tombé dans l’oubli? Certains en remettent la faute au Cardinal de Richelieu, d’autres disent qu’il aurait été chassé par l’Académie. Dans les deux cas la misogynie serait en cause, l’idée qu’une femme puisse exercer une profession dite « noble » ayant été jugée de mauvais goût. D’autres prétendent qu’il est simplement tombé dans l’oubli par lui-même, faute d’usage. Parce que, comme on me l’a si bien rappelé dans les commentaires de mon dernier billet (dans lequel j’avais utilisé le terme), c’est l’usage qui décide de la langue.

Côté usage, on m’a aussi fait remarquer, dans les commentaires du même billet précédent, que le Québec a décidé d’utiliser la forme féminine « auteure ». Moi-même, j’utilise cette forme depuis des années. Mais à la lumière des lectures faites plus haut, il me vient à l’esprit que le Québec a sans doute choisi cette féminisation pour ne pas trop déranger. On n’entend pas la différence, alors ça évite la controverse.

Mais la controverse, parfois, c’est utile, surtout pour obtenir le respect. Tant qu’on voit encore passer des articles qui expliquent que prendre un nom de plume masculin peut augmenter ses droits d’auteurs (Want to earn more as a book author? A male name will help, article basé sur une grande étude effectuée sur plus de 2 millions de livres publiés en Amérique du Nord), on ne peut pas dire que le combat n’en vaut pas la peine!

Et si c’est l’usage qui décide, si on veut réhabiliter le vrai terme, celui qui dérange un peu plus, la seule chose à faire, c’est de l’utiliser!

Bref, tout ça pour dire que j’ai décidé d’essayer le mot « autrice » pour quelque temps. Je ferai les changements dans mes divers médias sociaux dans les prochains jours. Je ne le fais pas en montrant le poing avec la certitude d’avoir raison. Je l’essaie, voir s’il arrête de m’écorcher les oreilles avec l’usage, voir si je me sentirais bien dans la peau de ce nouveau titre.

« Trying it on for size », diraient les anglophones.
(Oui, j’ose terminer sur un billet qui parle de pureté de langue sur une expression anglaise! C’est comme ça!)

Les petites causes que l’on épaule

croquelivreLa semaine dernière, je suis allée à Henryville faire une mini lecture de texte pour le lancement de deux croquelivres, ces boîtes de prêts qui rendent la lecture encore plus accessible aux enfants.

C’est ma cousine, Fanny Delisle, qui m’a proposé d’aider le croquelivre de sa ville cet été. Henryville est un tout petit village de campagne, un milieu défavorisé, mais dans lequel plusieurs personnes s’impliquent avec une grande volonté. Avec la cousine en question, j’ai donc orchestré une collecte auprès des auteurs qui suivent ma page Facebook, ou qui sont connectés à mon compte personnel.

J’en profite donc pour remercier les auteurs suivants pour leur participation:

Julie Champagne
Maxime de Bleu
Lucien Couture
Danielle Malenfant
et Cécile Gagnon

Mais aussi Réjean Dumouchel, qui, sans être auteur, nous a donné une montagne de livre qui en réjouira plus d’un!!!

Comme auteur, on est souvent sollicités pour des causes diverses. Donner des livres, donner du temps. Il est parfois difficile de faire la part des choses, de trouver une balance entre exploitation, bénévolat et générosité. On ne peut dire “oui” à tout…  mais rien ne nous oblige à dire toujours “non”, non plus. Étrangement, le choix entre les deux est souvent une question du “timing” de la demande. Il y a des moments où nous avons besoins d’aider, de se sentir utile dans l’univers, tout autant que les demandeurs ont besoins d’aide.

moi

Ma cousine m’a donc offert cette opportunité juste au bon moment, durant un été où je me sentais coupable d’avoir quitté le C.A. de l’AEQJ, et malheureuse de ne pas avoir réussi à changer les choses comme je le voulais durant mon presque deux ans de mandat. Les croquelivres m’ont rappelé comment “faire une différence” est toujours accessible à qui le désire, et comment les plus petits gestes comptent tout autant que les grandes actions d’éclat.

Cette implication ne sera pas la dernière!

Longue vie aux croquelivres d’Henryville!