Depuis l’automne dernier, j’ai un nouveau client de pige : Budge Studio, une compagnie québécoise qui s’est taillé une place de choix dans le milieu des jeux tablettes pour les enfants. Pour eux, j’écris les dialogues et « voice-overs » de jeux figurant des personnages connus de tous, aussi appelé des « licences ». Le premier sur lequel j’ai travaillé est sorti avant les fêtes (ce qui veut dire que j’ai le droit de vous en parler, hihi) et s’intitule Strawberry Shortcake Hairstyle Holiday.
Lorsque je fais de la pige pour une licence comme Fraisinette, je dois d’abord me plonger dans cet univers, non seulement pour comprendre le contexte et la personnalité de chaque protagoniste, mais aussi pour m’accaparer des codes de langage et le style littéraire de la série. Je n’écris pas du « Annie Bacon », j’écris du Fraisinette. Je deviens caméléon.
Récemment, une amie illustratrice qui a travaillé des durant durant en entreprise m’a envoyé son porte-folio. Il est magnifique… et très varié. C’est normal! Dans le monde du corporatif, l’illustrateur doit adapter son style à la personnalité de chaque client. Comme moi avec Fraisinette. C’est du travail de caméléon.
Mais lorsqu’on pense aux illustrateurs connus au Québec, on réalise, au contraire, qu’ils ont un style personnel immédiatement identifiable! Que ça soit Benoit Tardif, Fabrice Boulanger, Jacques Goldstyn, Geneviève Després, Annie Rodrique, Rémy Simard, Phillipe Béha et tous les autres, ils gardent le même style quelle que soit la commande. Dernièrement, en recevant le calendrier Scout, ma fille de 5 ans a réussi à identifier qu’il s’agissait de « la même personne qui a fait les images dans le livre de chansons de chats et de chien » (soit Marie-Ève Tremblay). Aucun compromis, aucun camouflage.
Si l’illustrateur en entreprise est un Caméléon, l’illustrateur à la pige doit être un flamand rose : différent, spécial, flamboyant, facilement identifiable.
Tout ça m’amène à me demander si c’est également vrai pour les auteurs. Devrais-je faire attention à ne pas trop m’éparpiller dans les livres que j’écris? Devrais-je identifier ce qui fait la touche « Annie Bacon » et l’amplifier? Cultiver mes tics d’écriture, dorloter mes thèmes, enligner mon style?
Et la question qui tue : avoir une identité forte comme auteur, est-ce véritablement quelque chose qui peut se faire de manière consciente, ou l’auteur risque-t-il alors de devenir une caricature de lui-même?
Bref, l’auteur peut-il décider d’être un flamant rose, ou risque-t-il alors de se transformer en dodo?
Dans ton cas: une imagination débordante, des créatures inventées fabuleuses, des aventures palpitantes. N’est-ce pas suffisant pour dire que tu as une identité forte?
Étant très caméléon (parce que j’aime expérimenter), je me suis souvent demandé si c’était une bonne chose, si je risquais de m’éparpiller, si je ne devrais pas plutôt me concentrer sur ce qui fait ma « voix »…
Et j’en suis arrivée à la conclusion très nette que non, il ne le faut pas.
Parce que tous les auteurs que je connais qui le font (consciemment ou pas) me donnent l’impression d’écrire toujours la même affaire. Alors après un temps, je ne les achète plus!
Je pense qu’on aura toujours une voix comme auteur (à moins de s’imposer d’aller contre elle, comme dans un contrat de pige ou de ghost writing), mais qu’à trop vouloir la cultiver, on bloquerait notre créativité et on risquerait d’emmerder le lecteur.