Comme lecteur, j’adore être surprise! Il faut dire que, défaut du métier, je suis toujours en train de prévoir ce qui risque d’arriver par la suite. J’ai raison 90% du temps, mais ce sont les autres 10% qui rendent la lecture palpitante! Pourtant, ce n’est pas facile de surprendre le lecteur, et pour cause : pour que la péripétie non-habituelle marche bien, elle doit avoir été subtilement annoncée à l’avance! Sinon, elle n’aura pas l’air d’un tournant intéressant au scénario, mais bien d’un événement complètement aléatoire qui risque de faire décrocher le lecteur.
Petite étude de cas d’un exemple, tiré de ma lecture actuelle, soit « Bones of the dragon » de Margaret Weis et Tracy Hickman.
On y retrouve une scène à peu près clichée dans les livres de fantastique à tendances vikings, soit le combat dans lequel un chef de village défie le « chef des chefs » qui préside sur tout le peuple viking. Dans ce cas-ci, un cliché dans un cliché, le chef qui initie le défi souffre d’une ancienne blessure de guerre et envoie un champion combattre à sa place. Ce champion est son fils, le héros officiel du livre.
Évidemment, on s’attend à ce que le héros gagne le combat! Comme de fait, il gagne, mais uniquement par tricherie de la grande prêtresse qui préside au combat! Déjà on s’éloigne de manière rafraichissante du cliché! Mais la véritable surprise arrive la fin du combat, alors que le héros, plutôt que de remettre la victoire à son père, comme devrait le faire un champion, il se proclame lui-même chef des chefs! Joli revirement de situation!
Par ce geste, le héros brise avec les traditions de son peuple et trahit sérieusement son père, qu’il aime pourtant beaucoup. De tels actes ne peuvent être posés de manière gratuite! Heureusement, dans les chapitres précédents, les auteurs avaient déjà installé les faits suivants :
– Le héros est impétueux avec une tendance à ne voir que le bénéfice court terme des choses, sans réfléchir aux conséquences possibles.
– Le héros considère que les habiletés guerrières sont les seules véritables marques importantes d’un chef. Ainsi, l’invalidité de son père lui porte à croire qu’il serait un meilleur chef que lui.
– Le plus grand désir du héros est de marier son amie d’enfance, ce qu’il ne peut faire tant qu’il n’a pas accumulé assez d’argent pour payer sa dot. Évidemment, le poste de chef des chefs lui permettrait de s’acquitter facilement d’une telle somme.
Le héros avait donc à la fois le genre de personnalité qui peut, sous les acclamations de la foule, penser que de devenir chef est une super bonne idée, des doutes sur les capacités de son père et, finalement, un gros gain à court terme pour motiver le tout! Grâce à tout ça, son geste, bien que narrativement inhabituel et surprenant pour le lecteur reste parfaitement crédible! Mieux encore, une fois la surprise passée, le lecteur ne peut s’empêcher d’avouer que c’était la seule issue possible!
Tout ça pour dire que je m’attendais à de la petite lecture parfaitement alimentaire et un peu prémâchée avec ce livre et que, finalement, je me régale!