C’est un classique dans mon industrie : tous les livres importants sortent au début de l’automne, dans ce que l’on appelle la rentrée culturelle. La fantastique caricature de Martin Vidberg ci-dessous fait remarquer à quel point c’est une drôle d’idée:
Je veux ici faire comme la caricature et contester la pertinence d’une sortie au mois de septembre pour les livres jeunesse.
Notez en toute transparence que j’en sors un moi-même : Les nouvelles du futur, disponible chez votre libraire, mais son cas particulier sera expliqué à la fin du billet.
1ere réflexion : les achats scolaires
Les écoles sont de gros acheteurs de livres jeunesse, qui ont l’obligation d’acheter leurs livres dans les librairies agréées. J’ai posé la question à des amis libraires (ou anciens libraires) jeunesse, qui m’ont parlé de la période novembre-décembre comme étant importante, mais encore plus de celle de mai-juin, alors que les budgets scolaires sont sur le point de fermer, et que les professeurs utilisent ce qui reste pour garnir leurs classes.
2e réflexion : les prix littéraires
L’automne est la saison des prix littéraires, on peut donc imaginer que les livres qui y sont présentés doivent être sortis depuis quelques mois, pour donner aux jurys le temps de les lire. Par exemple, la date de remise pour le prix du Gouverneur général est le 31 juillet. Donc, un livre qui sort à l’automne a mille fois le temps de disparaître des tablettes avant de gagner un prix*. En plus, pendant ses premiers mois d’existence, il devra se battre contre les lauréats pour la visibilité média et les places d’honneur en librairie. Quand on y pense, sortir le plus proche possible d’une nomination, c’est la stratégie des films à haut potentiel de nomination aux Oscars.
3e réflexion : se perdre dans la masse
Je le disais plus haut, les livres importants sortent pour la rentrée culturelle. Il y a donc non seulement des quantités incroyables de nouveautés, mais parmi celles-ci certains titres précis risquent de monopoliser l’espace médiatique déjà restreint offert aux livres jeunesse. On s’entend, si une chanteuse, une actrice, ou un romancier « adulte » sort un livre jeunesse, il sortira en septembre, et c’est de celui-là dont parleront les journaux généralistes! De la même manière, on me disait que les bibliothèques publiques, autre gros acheteur de livres jeunesse, font leurs achats mensuellement… ne vaut-il pas mieux, dans ce cas, être le livre incontournable d’un mois plus tranquille, plutôt qu’un titre invisible de la rentrée culturelle?
Oui, je sais, la rentrée culturelle est sans doute prévue pour que les livres se retrouvent sous les sapins de Noël. En jeux vidéo, les jeux devaient sortir à temps pour l’Action de grâce américaine, coup d’envoi officiel du magasinage des fêtes. Mais cette date… c’est en novembre! L’argument du Salon du livre de Montréal nous mènerait d’ailleurs à ce même mois. Pourtant, je ne crois pas avoir jamais eu de livre qui sortait en novembre.
Bref, pensons hors de la boîte littéraire : sortons des livres juste à temps pour le 12 août, après les fêtes pour régner seul sur l’espace culturel, à la relâche pour occuper les enfants et à tous les autres moments de l’année. Les libraires, qui ne savent plus où donner de la tablette en septembre, nous en seront reconnaissants!
Et pour ce qui est des Nouvelles du futur…
C’est vrai, il sort en septembre, et il n’aurait pas pu être mieux prévu! Les jeunes ont pu en lire des extraits dans les deux magazines Les Débrouillards de l’été, et il ne fallait pas leur donner le temps de l’oublier! ????
* Et ne croyez pas que gagner un prix ramènera automatiquement ce livre sur les tablettes! Les librairies sont très inégales d’une à l’autre sur ce point. Lisez à ce sujet les trois derniers paragraphes de cet ancien billet : https://www.romanjeunesse.com/2017/10/01/les-prix-litteraires/