J’ai toujours su que dans mon prochain roman, Limbo-Cumulus*, le maître des nuages serait un personnage non-binaire. Il m’a été inspiré par Jonathan Van Ness de la série télé Queer Eye (à droite), avec quelques influences de Willy Wonka du film Charlie et la chocolaterie et de Arthur Teboul, chanteur du groupe musical Feu Chatterton.
Je savais aussi que ça voudrait dire adapter mon écriture à l’identité non genrée, chose particulièrement difficile en français. J’avais même prévu quelques jours de recherche pour plonger dans cette réalité linguistique. Posez-vous la question : comment écririez-vous « Il est un vieux facteur gentil » sans indiquer le genre du personnage? Tout le monde connait le fameux pronom « iel », mais il ne représente que la pointe de l’iceberg!
À part le pronom cité plus haut qui a fait son entrée dans les dictionnaires récemment, il n’y a pas encore de vocabulaire neutre officiel, ce qui n’empêche pas plusieurs options d’apparaître progressivement. Des linguistes et des organismes queers se sont penchés sur la question et proposent des alternatives aux mots féminins et masculins. C’est un tout nouveau champ lexical qu’ils défrichent tranquillement, avec ce que cela comporte de contradictions, de variantes et de tâtonnement. Un « work in progress » diraient les Anglais.
Le document qui m’a été le plus utile personnellement est ce guide rédigé par l’organisme québécois « Divergenres ». Il m’a permis d’apprendre les terminaisons à utiliser pour les adjectifs, les déterminants, les professions, etc. J’y ai également appris la différence entre le vocabulaire inclusif (au sujet duquel je vous conseille l’excellent Grammaire pour un français inclusif) et la grammaire neutre. Le premier est utilisé lorsque l’on désire s’adresser à tout le monde sans prioriser le masculin, le second plus spécifiquement lorsque l’on parle d’une personne non-binaire, comme c’est mon cas dans le roman.
J’ai écrit, au début de ce billet, que mon personnage était le « Maître des nuages ». Il est donc, en fait, lo maîtrem des nuages.
Déterminant : Le, la, lo (masculin, féminin, neutre)
Titre : Maître, maîtresse, maîtrem (masculin, féminin, neutre)
Pour maximiser la compréhension de mon jeune public cible, j’ai suivi les deux règles :
- Garder au minimum le nombre de termes neutres dans une même phrase.
Par exemple, j’aurais aimé commencer un paragraphe en référant à mon personnage par l’expression « Le nouveau venu », mais comme le tout aurait nécessité trois termes neutres de suite (et qu’en plus, je ne trouvais nulle part comment rendre « venu » neutre), j’ai mis « L’adulte » à la place, un terme épicène, donc naturellement non genré, que tout le monde comprend.
- Prioriser l’usage courant plutôt que la règle de ma documentation.
Je mets en exemple la version neutre de mon propre métier. Selon le guide de Divergenres, on devrait décliner ainsi : Auteur, autrice (ou auteure), auteus. Pourtant, j’ai plutôt vu des personnes non-binaires utiliser le terme « autaire » pour décrire leur métier, et c’est donc ce mot que j’ai utilisé.
De manière surprenante, le résultat est très lisible, d’autant plus que le personnage n’apparaît que dans quelques chapitres au milieu du roman.
Et si vous êtes curieux ou curieuses de lire d’autres romans jeunesse dans lesquels le neutre a été utilisé, les roman « Les sœurs hiver » de Jolan Bertrand utilise le pronom neutre « Ul » pour les trolls, mais garde le masculin pour les déterminants et les adjectifs.
*titre de travail
Avec VLB Imaginaire, on a souvent eu à jouer avec la grammaire pour des personnages non binaires ou des termes inclusifs. Récemment, avec « Le pacte de minuit », qui est une traduction, on s’est vraiment beaucoup cassé la tête, car les esprits étaient neutres en anglais (it). On a privilégié l’épicène le plus souvent possible, quitte à tourner certaines phrases de manière moins convenues, et utilisé ae pour les rares finales en é qu’on n’a pas réussi à éliminer. C’est vraiment pas évident tout ça en français. Je me demande – comme historienne et écrivaine – ce qui va finir par s’imposer comme standard. (J’ai l’impression qu’on va finir avec un pronom non-binaire et des finales masculines, mais on verra!)
@Gen: C’est ce qu’a fait le livre « Les sœurs d’hivers » (pronom non-binaire et finales masculines). C’est un peu la solution facile, mais pas nécessairement la plus juste. En même temps, en traduction, c’est compliqué, puisque le français est beaucoup (BEAUCOUP) plus genré que l’anglais. La personne qui a traduit le livre a du bien se casser la tête!!
Ce fut un effort de groupe (le groupe étant moi pis le traducteur lol!). Je commence à avoir des listes de mots et de tournures non genrées, mais oui, en français, c’est TOUJOURS compliqué. Et ça finit par être très artificiel : tu genres pas la personne, mais la table, le plafond, le chat le sont…