Dans le cadre du Salon du livre de l’Outaouais, j’ai bâti une histoire de fin du monde, en coopération avec les spectateurs virtuels s’étant branchés pour le faire avec moi!
Je l’ai ensuite rédigée dans le style des Chroniques post-apocalyptiques d’une enfant sage, et de sa suite, les Chroniques post-apocalyptiques d’une jeune entêtée. Je vous l’offre ici, en exclusivité! Toutes les idées viennent du public, seule l’écriture est de moi!
Bonne lecture!!
Chroniques d’un hiver éternel
Isadora se lève et s’éloigne de la fenêtre. Elle doit se rendre à l’évidence : ses parents, partis depuis plusieurs jours, ne reviendront pas. Le Grand Hiver les a pris, comme il a pris tous les autres.
Seule dans la grande maison, peut-être même dans toute la ville, elle se déplace de pièce en pièce. Marcher la garde au chaud, empêche les engelures. « Dors près de la génératrice », lui avait dit son père, « nous reviendrons vite ». La machine s’est éteinte ce matin. Il reste encore quelques heures de soleil, gracieuseté du mois de juin. Juste assez pour atteindre la montagne, juste assez pour trouver un endroit où une nuit sans chauffage ne sera pas une condamnation.
Avant que la tempête glaciaire ne tombe sur le monde des humains, elle jouait souvent aux jeux vidéo. Son préféré racontait l’histoire de tribus primitives dans un monde envahi par des machines corrompues. Ils vivaient dans des cavernes, fraiches en été, tièdes en hiver. Elle remplit un sac d’un peu de nourriture et d’une trousse de premiers soins, cache ses cheveux pâles sous une cagoule, et quitte la maison familiale sans même un dernier regard vers sa PlayStation inutilisable.
La marche est longue, mais Isadora n’est pas une plaignarde. Chaussée de raquette, elle pose les pieds, l’un après l’autre, malgré le froid qui pique les joues, et les muscles qui fatiguent. Après trois heures, elle trouve enfin ce qu’elle cherchait: à même la falaise de calcaire s’ouvre une grotte. Elle hésite devant l’entrée. La lumière ne va pas plus loin qu’un mètre. Le reste n’est qu’un trou sombre. Elle s’imagine les pires horreurs: des tueurs, des monstres, des araignées.
Isadora n’aime pas les araignées.
La jeune fille prend son courage à deux mains et pénètre dans l’abri rocheux. Prenant à peine le temps de retirer son sac à dos, elle s’affale contre le mur de pierre, contente de laisser ses pieds se reposer. Elle sent s’éloigner la morsure de l’éternel hiver; pousse un soupir de soulagement.
Un profond ronflement lui répond.
D’un bond, elle se lève et se tourne vers la lumière déclinante du dehors. Son pied se coince dans la sangle de son sac, et elle s’affale au sol dans un grand bruit. Une masse de fourrure épaisse s’agite. Un œil s’ouvre, puis un deuxième.
Un ours brun.
L’animal se lève sur ses pattes de derrière pour lui rugir de s’en aller. Isadora secoue sa jambe dans une tentative désespérée de se déprendre, mais ne réussit qu’à répandre le contenu du sac au sol. Aussitôt, l’ours se met à renifler, frénétiquement.
La peur fait place à la compassion. « Il doit être affamé », se dit la jeune fille, bien consciente que l’hibernation n’est pas censée durer si longtemps! Elle ouvre un sac Ziploc rempli des morceaux de steak que sa mère a fait sécher; en lance un, puis deux, puis trois.
L’ours les gobe, se déplaçant de l’un à l’autre en boitant sur trois pattes. Le petit cœur d’Isadora se serre. Affamé, blessé, et seul dans une caverne. Pauvre animal.
Elle prend sa boîte de premiers soins et tend un quatrième morceau de viande pour attirer l’ours.
— Viens, donne la patte!
Elle rit intérieurement de cette phrase, habituellement adressée à un chien. Un nom canin s’impose, elle rassure l’ours, en enfonçant sa main dans l’épaisse fourure chaude:
— Tu n’es plus seul, Brutus.
En prononçant ces mots, elle réalise qu’elle non plus.
Classiquement merveilleux. Bravo!????