Je viens tout juste de terminer la lecture d’un excellent article du Guardian qui parle de la survie des auteurs dans un monde où le prix des divertissements tend vers zéro.
Si, dans l’introduction, son hypothèse que, dans une génération, le métier d’écrivain tel qu’on le connait sera disparu peut choquer, son argumentation est bonne, citant la diminution actuelle des avances payées par les éditeurs ainsi que de multiples exemples d’autres industries dans lesquelles le prix d’une commodité (film, photo, musique) est de plus en plus faible.
J’aurais tendance à crier « foutaises », mais voilà que mes dernières lectures d’articles sur l’autopublication racontent un processus audacieux par lequel les auteurs vendent leurs livres 99 cents jusqu’à ce que ceux-ci se voient propulsés dans les palmarès, où le livre jouira d’une grande visibilité. D’ailleurs, l’industrie du livre jeunesse au Québec n’a pas attendu le numérique pour offrir des livres (et créer d’immenses succès) avec un tel prix! Évidemment, dans les deux cas, le livre finit par reprendre un prix normal, mais ce qui est insidieux avec des prix aussi bas, c’est que le consommateur pourrait s’y habituer, voire y prendre goût.
L’auteur de l’article explique également que les éditeurs numériques et les « librairies numériques » s’en sortent grâce au « long tail », un principe par lequel le fait de pouvoir rejoindre énormément de monde permet de vendre des articles utra-spécialisés à haut prix à un très petit nombre d’intéressés. La technique marche, à condition d’avoir assez de ces articles ultra-spécialisés pour que, tous mis ensemble, ça puisse équivaloir à la vente d’un gros best-seller. Par contre, chaque auteur de ces livres, de manière individuelle, ne recevra qu’un chèque risible de droits d’auteurs.
Si l’auteur ne peut vivre de ses droits ni en vendant des millions de livres à 10 cents, ni en vendant 10 livres à 100 dollars, quelles sont ses autres options? Selon l’article du Guardian : un salaire lui permettant de subvenir à ses besoins, quel que soit le chiffre de vente des livres.
Quelques réflexions sur l’idée de l’auteur salarié:
- – Tout d’abord, la source d’un tel salaire? Les super éditeurs (à la Google Books) pourraient certainement se permettre de payer un tel salaire à certains auteurs en échange d’une plus grande part sur leurs livres. Sinon, ce serait plutôt des subventions gouvernementales, ce que nous avons déjà ici, et qui ne fait pas vivre grand monde!
- – Quel est le prix caché d’un salaire? La censure, certainement, possiblement même une imposition des sujets, et, ne soyons pas étonné : l’apparition du positionnement de produit dans les livres!
- – Est-ce qu’une commande à un « employé » peut devenir un livre à succès? Absolument! Il n’y a qu’à regarder du côté de Géronimo Stilton pour voir qu’un auteur unique et dédié à son œuvre n’est pas nécessaire pour l’obtention d’un succès. Bien au contraire, des équipes de type « sweatshop » seraient possiblement plus appropriées au rythme de publication parfois nécessaire pour la création d’un tel succès, surtout dans le secteur jeunesse. Évidemment, je ne parle ici que de « quantité »!
- – La stabilité d’un salaire permettrait à des auteurs de se consacrer à leur œuvre à temps plein. On ne peut pas dire que ce ne soit pas attrayant…
- – Mais l’absence de partage de risque, veut habituellement également dire une absence de partage des bénéfices dans le cas d’un succès énorme. C’est un pensez-y-bien!
La question se pose : échangeriez-vous vos droits d’auteurs contre un salaire?
Non. Parce que je perdrais beaucoup trop en terme de liberté et de choix. Chez moi, les droits d’auteure, c’est de l’extra. Point. Je préfère couper dans l’extra que de me retrouver avec des obligations dont je n’ai vraiment pas envie… Parce que qui dit employé dit contraintes et je n’ai pas une vie qui me permet d’y ajouter des contraintes… Vraiment pas… 😉
Hum… pas sûre. J’aurais peur de la censure, des contraintes. Je suis une auteure ecclectique, qui aime travailler un jour sur du jeunesse, le lendemain sur du fantastique noir, le surlendemain sur du policier… Comment un employeur pourrait-il accepter ça? (à moins d’être un super éditeur qui publie dans tous les genres?)
D’un autre côté, pouvoir enfin écrire à temps plein, sans soucis financiers… Ah, le rêve!
Cependant, d’autres questions se posent : comment les auteurs salariés seraient-ils choisis et embauchés? Après un parcours universitaire approprié (ce qui priverait la littérature d’une diversité d’horizon et de bagage de ses artisans)? Après que l’auteur ait publié quelques nouvelles et romans? (ce qui serait encore plus difficile dans un contexte où une vaste partie du marché serait accaparée par des auteurs salariés?)
Et comment détermine-t-on si un écrivain a gagné son salaire? Au nombre de pages publiées? (même si c’est de la merde?) Au succès? (avec toutes les dérives possibles?) Au mérite selon un jury qui devrait tout lire? (et qui va payer ce jury? s’assurer de son impartialité?)
Enfin… c’est un beau rêve. Mais je crois que des contrats d’écriture à plus ou moins long terme, pour une oeuvre ou une série d’oeuvres (un peu sur le modèle de nos demandes de bourse, mais à plus large échelle… et avec des meilleurs montants!) seraient tout à fait envisageables. L’émetteur du contrat pourrait faire un appel assez large « roman policier », les écrivains soumettraient des projets, puis une sélection serait faite et les écrivains seraient payés un salaire décent pendant une période couvrant non seulement l’écriture, mais un temps raisonnable de promotion.
Et puis, le contrat finit, l’écrivain serait éligible au chômage.