Dans Anathem (Neal Stephenson), que je viens tout juste de terminer, il y a un moment où l’action devient invraisemblable. Les personnages principaux sont envoyés pour une mission, et le lecteur ne peut s’empêcher de penser qu’il devait y avoir, sur la planète, des centaines de personnes mieux qualifiées pour cette mission. Évidemment, pour les besoins de l’histoire, les personnages principaux devaient s’y coller. Que fait un auteur chevronné devant un tel problème? Est-ce qu’il ferme les yeux en espérant que les lecteurs ne se rendront compte de rien? C’est risqué! Mieux vaut avouer sa faiblesse discrètement.
C’est certainement ce qu’à fait Stephenson. Ainsi, le héros demande à un de ses contacts pourquoi diables ils ont été envoyés alors que d’autres auraient certainement mieux fait l’affaire. L’autre explique le choix, mais sa justification importe peu. À sa manière, l’auteur nous a déjà avoué : « je sais, c’est pas tout à fait naturel. »
Il m’est arrivé la même chose dans le tome trois de Terra Incognita. Cette fois-ci, c’était une répétition. Un personnage se retrouvait en prison pour la deuxième fois en deux romans. Lorsque je m’en suis rendu compte, il était trop tard pour changer la scène. J’ai donc plutôt ajouté la chose suivante :
Aldebert, qui vient à peine de terminer une longue peine dans une prison pirate, s’étend sur la paillasse comme un habitué.
— J’ai un vague sentiment de déjà vu ! s’exclame-t-il en fermant les yeux.
La phrase est un aveu: « Je sais, c’est répétitif, je m’en suis rendu compte et je m’en excuse. » Évidemment, ça ne change rien à la faute, mais au moins les lecteurs sauront que nous sommes assez intelligents pour avoir remarqué le problème, et qu’on ne les prend pas pour des imbéciles, puisque nous n’avons pas essayé de « leur en passer une » en douce. Après tout, ne dit-on pas que faute avouée, à moitié pardonnée?
Exactement !D’ailleurs, ça m’est arrivé à moi aussi ! Je voulais écrire un truc, c’était hyper cliché mais je voulais l’écrire quand même, du coup, mon personnage s’excuse en disant, je sais, c’est cliché mais c’est ce que je ressens ! Contente de ne pas être la seule qui fait ce genre de chose hihi !
J’aime bien moi aussi quand l’auteur ne nous prend pas pour des épais et nous envoie un petit clin d’oeil comme ça pour nous dire « oui, je triche, mais bon, j’ai une histoire à écrire vous savez.. ».
J’aime particulièrement lorsque des répétitions d’événements se produisent, parce que ce qui était une gaffe inconsciente de l’auteur peut éventuellement devenir un élément important de la vie et de la personnalité du personnage. (Un personnage qui arrête pas de se faire jeter en prison risque de trouver tout lit et toute bouffe fort convenable par exemple… j’essaie de me souvenir dans quelle série de bouquins il y avait un personnage comme ça, mais ça me revient pas là…)
Je me souviens avoir lu que Stephenson avait écrit Anathem à la main et sans aucun plan… Alors ça pourrait expliquer ce genre d’incohérence. De toute façon, ce n’est pas vraiment pour l’intrigue qu’on lit Stephenson.
@Audrey: N’est-ce pas merveilleux! Parce que ton personnage avoue que c’est cliché, personne ne peux t’accuser de l’être!
@Gen: C’est vrai que c’est une bonne idée de l’intégrer à la personnalité du personnage par la suite! Ou encore d’en faire un « running gag » dans la série. Par exemple, dans les 4 as, deux personnages tombent systématiquement dans l’eau dans chaque album!
@Frédérique: Ça explique qu’il y ait des pages manuscrites dans la section « photo » de son site! D’ailleur, ça vaut le détour, ne serait-ce que pour voir la quantité de pages que forment le « Baroque cycle ».
http://www.nealstephenson.com/photos.htm
On peut trouver des situations invraisemblables dans la vraie vie, c’est ça le pire. Qui triche dans la vraie vie? 😉
@Maxime: Il n’y a pas une citation célèbre de Mark Twain qui dit quelque chose du genre: « que la vrai vie raconte de meilleures histoires parce qu’elle n’est pas obligé d’être crédible »?